Hommage aux travaux de François Villemonteix
15 mars 2019 Paris (France)

Témoignages personnels > Jean-Pierre Chevalier

 

François Villemonteix et les masters à distance de l’IUFM puis de l’éspé

 

Jean-Pierre Chevalier 

Recruté en 2011 en tant que maitre de conférences à l’IUFM de l’académie de Versailles, François Villemonteix accepte l’année suivante d’être Directeur adjoint de l’IUFM, en charge des TICE, ce qui correspond au cœur de ses recherches. Il publiera de nombreux articles les relatant, il noue à cette occasion de nombreux partenariats relatés aujourd’hui par des collègues. En tant que directeur adjoint, il participe à la profonde réorganisation de l’IUFM après l’intégration à l’UCP et surtout suite à la grave diminution de ses charges d’enseignement créée par le report des concours en fin de master (M2). Les effectifs de l’IUFM qui se situaient entre 6000 et 5000 étudiants et stagiaires se voient brutalement réduits à moins de 2000. Les futurs professeurs des écoles en première année passent de 2248 à 480 et en deuxième année de 1906 à 472 (Chevalier, 2016). Ceci survient quelques années après la réduction à peau de chagrin de la formation continue des professeurs des écoles, aussi les formateurs de l’IUFM voient leurs services fondre ; ce qui inéluctablement a un effet profondément démoralisant. 

C’est dans ce contexte  que nous décidons alors d’ouvrir en 2011 un master MEEF pour les professeurs totalement à distance et que François Villemonteix en devient le pilote. Le contexte est difficile car les réticences des pédagogues sont nombreuses. Certains craignent que l’enseignement à distance (EAD) ne soit une machine supplémentaire pour fermer des emplois formateurs, ils ont tort mais les démonstrations et les calculs économiques ne peuvent pas les convaincre a priori. Certains, souvent les mêmes, pensent qu’une formation à forte dimension professionnelle ne peut se faire qu’avec du présentiel. Ce contexte local nous contraint à monter ce master à distance avec la même maquette que le master en présentiel, ce, entre autres, pour tenter de rassurer les formateurs qui craignent que ce soit un sous-master, donc un master à distance avec le même vivier de formateurs que celui en présentiel, avec les mêmes contrôles terminaux.   

Maquette présentielle pour un dispositif 100% à distance

L’IUFM proposait déjà un master à distance, le master ACREDITE piloté par Alain Jaillet, dans la suite du master UTICEF de Strasbourg.  Ce master a une maquette pédagogique conçue spécialement pour la distance ; il fonctionne avec une quarantaine d’étudiants rompus au numérique et des formateurs spécialistes des TICE ; un modèle 100% à distance sans regroupement présentiel initial ou en cours de formation. C’est sur sa plate-forme de type ACOLAD que François doit installer ce nouveau master MEEF professeur des écoles (PE), mais avec quelques handicaps. Les étudiants candidats à ce master maîtrisent plus ou moins le numérique, certes ils sont fortement intéressés par une formation à distance, mais ils sous-estiment généralement la charge de travail. Les formateurs maîtrisent eux aussi plus ou moins le numérique, ils n’ont aucune expérience de la formation à distance, quelques uns sont volontaires, d’autres sont des volontaires-contraints pour remplir leur service statutaire de s’engager dans l’EAD. D’emblée,  simultanément à l’ouverture de ce master à distance, François Villemonteix organise des formations pour les formateurs, avec le dynamisme qui le caractérise. Le dispositif pédagogique est exigeant, il nécessite pour chaque Unité de formation de concevoir, outre les cours, des situations problèmes que les étudiants doivent résoudre dans un cadre collaboratif. Les contacts synchrones étudiants/enseignants passent exclusivement par l’écrit, par chat (clavardage) lors de séminaires au cours desquels les enseignants doivent de leur côté apprendre à gérer les prises de parole, celles des étudiants du séminaire et aussi la leur (Gélis, 2013).

Directeur du site de formation à distance 2013-2017 

Le succès de cette formation, se caractérise par l’augmentation rapide de ses effectifs et la création d’autres masters à distance. 148 étudiants dans deux masters  en 2011, 456 dans 8 masters en 2014. En 2015-2016 le dispositif EAD mobilise un total de 7709 hetd, réparties entre 105 enseignants dont 25 contractuels. Cette croissance a été rendue possible par l’industrialisation    de la formation (Depover, 2012 ; Peraya et al., 2013) que François V. organise, on peut y distinguer deux volets : le volet pédagogique et le volet infrastructure. 

Le volet pédagogique consiste à faire partager par les formateurs la conception pédagogique du dispositif : la dimension collaborative du travail entre étudiants, point central du modèle. Il s’agit de fournir des ressources aux étudiants disponibles de façon asynchrone, de suivre des ateliers où en groupes collaboratifs les étudiants doivent résoudre des situations problèmes, d'animer par chat (clavardage) des séminaires regroupant entre 10 et 15 étudiants. Ceci suppose au préalable des concertations entre formateurs d’une même discipline et la désignation d’un coordonnateur pour chaque EC (Denizot, 2014). François s’appuie sur Jean-Michel Gélis pour former des enseignants, disposant certes d’une expérience solide, mais totalement néophytes à distance (Gélis, 2015). À cet effet l’IUFM décompte des heures de formation dans le service des PRAG. La pédagogie est toujours adossée à du gestionnaire : rétribuer la rédaction des ressources, appelées cours, compter dans les services les connexions en ligne que les enseignants font généralement depuis chez eux, donc négocier le référentiel avec l’université intégratrice..

 Aussi logiquement, compte tenu des effectifs (80 formateurs interviennent dans le master PE) et compte tenu des charges techniques, François obtient que l’on considère l’EAD comme un site au sein de l’IUFM, au même titre que les implantations géographiques : Antony, Cergy, Gennevilliers, etc. (Poulat, 2015). Il organise un nouveau service et obtient les postes administratifs et techniques pour gérer les inscriptions pédagogiques sur la plate-forme et pour le suivi des étudiants. Mais il s’agit aussi d’être en interface avec le service de la scolarité, le service RH, le service financier, la communication, etc. François sait mener les difficiles batailles pour les postes BIATSS, il sait aussi fluidifier les circuits et créer une bonne ambiance de travail au sein de son équipe. Il communique son enthousiasme et sa détermination pour passer avec succès les obstacles.

En effet, il n’est pas toujours facile d’obtenir des conventions de stage hors Île-de-France pour nos étudiants provinciaux, les partenaires Éducation nationale nous considèrent souvent comme des OVNI. C’est paradoxalement plus facile de monter une convention de stage avec les établissements hors de France pour ceux de nos étudiants qui vivent loin à l’étranger. Les contrôles terminaux devant être communs avec le master présentiel, cela nécessite pour nos étudiants hors de métropole de mettre sur pied une passation de ces épreuves papier-crayon à distance, avec un suivi simultané, en visioconférence, de quatre étudiants par poste de surveillance. Au total des contraintes multiples à prendre en compte pour la gestion d’une version EAD d’un master initialement conçu pour le présentiel, probablement une sorte de garantie donnée aux adversaires ou aux réticents à l’EAD.  

. Les spécificités du master MEEF en EAD 

À ce jour, le master MEEF professeur des écoles en EAD reste un décalque du master présentiel, même si ses principes pédagogiques sont bien spécifiques. L’originalité de l’EAD est assez rapidement apparue dans les ressources, baptisées « cours » mises à la disposition des enseignants. Au début il s’agissait de textes rédigés comme un cours papier, certes « scormées »,  mais avec la même écriture que pour un livret de format A4. Les collègues de certaines disciplines y ont d’abord adjoint des exercices autocorrectifs. Puis en 2015 François, en concertation, a décidé de refonder totalement ces ressources, une véritable recherche-innovation suivie par Jean-Michel Gélis. Désormais nous leur donnerions systématiquement une structure interactive et multimédia, en les écrivant dans le cadre de la chaîne éditoriale OPALE.L’objectif énoncé par François était alors que les enseignants rédigent eux-mêmes leurs cours sous OPALE. Ayant terminé mon mandat de directeur de l’IUFM, j’ai remplacé François pendant son congé sabbatique. Je dois dire qu’au début j’étais sceptique sur le fait que les enseignants puissent rédiger seuls sous cette forme, mais après m’y être mis pour les ressources en géographie, j’ai été enthousiasmé. Certes certains collègues ont eu besoin de l’aide des IGE pour formaliser les ressources interactives, « mais le principe d’une écriture multimédia, interactive, en rupture avec les cours au format papier fut accepté » (Gélis, 2017). Cela donna d’ailleurs lieu à une enquête comparative auprès des étudiants (Chevalier 2016, Gélis, 2017).

 

Enfin François organise le déménagement de Saint-Germain à Gennevilliers des bureaux du site de formation à distance, localisation qui convient mieux aux personnes qui travaillent à l’année pour le site EAD de l’éspé. Début 2017, sur la base des inscrits au 3 novembre,  le site EAD gère 178 étudiants du parcours professeur des écoles,  55 étudiants et stagiaires du parcours professeur de biotechnologie-santé environnement, 10 étudiants du parcours Analyse, conception et recherche dans le domaine de l’ingénierie des technologies en éducation ‐ACREDITÉ, 25 étudiants du parcours Recherche en éducation, didactique et formation ‐REDEF,  12 étudiants du parcours Technologies de l’éducation ‐TECH ÉDU,  28 étudiants du parcours Former et intégrer par la langue ‐FIL.et  8 étudiants du Parcours Accessibilité pédagogique, remédiation, inclusion pour les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers ‐APRI BEP en partenariat avec la Guyane.

 

La dernière innovation lancée par François, juste avant son recrutement comme professeur à Lille, a été de préparer le passage de la plupart de ces masters sur la plate-forme Moodle de l’université, moins propice au suivi des actions des formateurs et des étudiants (tracking), mais plus commode à gérer par les enseignants et les administratifs. 

Aujourd’hui, les équipes et les modalités de fonctionnement, installées sur des bases solides par François continuent à fonctionner sereinement et avec l’annonce d’un nouveau report des concours d’enseignants en fin de master, gageons que ces masters à distance verront leur intérêt renforcé. 

 

Jean-Pierre Chevalier, professeur émérite, laboratoire ÉMA, UCP, 

ancien directeur de l’IUFM de l’académie de Versailles, ancien enseignant dans le master PE et le master REDEF à distance.

 

Chevalier J.-P., 2016, Nouvelles technologies et enseignement à distance pour la formation des maîtres à l’IUFM (2006-2016), colloque 2006-2016,Scénarios de formation, 10 ans après, Gennevilliers 14 et 15 novembre 2016. EMA, LDAR. http://www.espe-versailles.fr/IMG/pdf/atelier5-chevalier-2.pdf

 Denizot N., 2014, Enseigner à distance dans un master MEEF, Recherches, n°60, 2014-1. http://www.revue-recherches.fr/wp-content/uploads/2016/07/007-024_R60_Denizot.pdf

 Depover, C., 2012,  Modèles pédagogiques et tutorat dans la formation des maîtres à distance, dans T. Karsenti, R.-P. Garry, A. Bensiane, B.-B. Ngoy-Fiama et F. Baudot, (dir.), La formation de formateurs et d’enseignants à l’ère du numérique : stratégies politiques et accompagnementpédagogique, du présentiel à l’enseignement à distance (pp. 4-18), Montréal : Réseau international francophone des établissements de formation de formateurs / Agence universitaire de la Francophonie.  https://journals.openedition.org/dms/175

 Gélis, J.-M., 2013, L’engagement des enseignants dans un dispositif d’enseignement à distance, Distances et médiations des savoirs, 2. [En ligne] http://dms.revues.org/175

 Gélis, J.-M., 2015,  Des responsables d’équipe dans le déploiement d’un enseignement à distance : entre innovation, industrialisation et modèles de dissémination, Distances et médiations des savoirs.10. [En ligne] http://dms.revues.org/1056

 Gélis, J.-M.,Froye M. et Rebah L.,2017, « Peut-on concevoir des ressources de cours pour l’enseignement à distance à partir de documents textes du présentiel », frantice.net, numéro 14, décembre 2017, pp.105-124. http://www.frantice.net/index.php?id=1470

 Peraya D., Depover C. et Jaillet A., 2013, Un master à distance pour une formation aux technologies éducatives : le diplôme UTICEF – ACREDITÉ. Dans P.-J. Loiret (dir.), Un détour par le futur. Lesformations ouvertes et à distance à l’Agence universitaire de la francophonie. 1992- 2012 (pp. 83-102), Paris, Agence universitaire de la francophonie et Éditions archives contemporaines.

 Poulat M., 2015, Changement de statut pour l’Enseignement à distance, dans le cadre de l’ESPE de l’académie de Versailles,ToutEduc. [en ligne]            www.touteduc.fr/fr/archives/id-10449-changement-de-statut-pour-l-enseignement-a-distance-dans-le-cadre-de-l-espe-de-versailles

 

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