Hommage aux travaux de François Villemonteix
15 mars 2019 Paris (France)

Apports scientifiques de la journée > Texte de Jean-Louis Martinand (2018). Les produits des recherches participatives en Sciences de l’éducation


Les produits des recherches participatives en Sciences de l’éducation : 
Éléments pour leur prise en compte évaluative.

 

Jean-Louis Martinand

 

Le texte qui suit a été présenté à la Commission HCÉRES Sciences de l’éducation en 2018.

 

I

Depuis très longtemps il existe parmi les recherches en éducation et formation des recherches participatives, associant des professionnels de l’éducation ou de la formation à leur mise en œuvre et même à leur conduite. Il ne s’agit pas seulement des travaux menés dans des instituts proches des pratiques professionnelles, comme l’ancien INRP autour de la décennie 1970-80 ou les groupes en relation avec l’AFPA. Récemment, la mise en place de Lieux d’Éducation Associés par l’Institut français de l’Éducation, ou d’Instituts Carnot de l’Éducation esquisse un développement possible des recherches participatives en éducation.

Ce n’est pas vraiment nouveau ; les unités de recherche rattachées aux Sciences de l’Éducation et leurs chercheurs ne sont pas restées étrangères à ce type de recherches, en particulier dans le voisinage des IUFM ou des ÉSPÉ, même si les unités de type plus académiques et leurs chercheurs ont pu garder certaines distances.

Dans cet esprit, le texte discuté par la commission en 2015 intègre une prise en compte de ce qui est produit dans des formes « dérivées » au cours d’ « interactions avec l’environnement social, économique et culturel », attirant l’attention avec raison sur un ensemble de réquisits pour leur prise en compte comme « produits de recherche ». Mais il semble que cette manière de faire ne clarifie pas la question de la « recherche participative » et de son évaluation.

Dans le référentiel d’évaluation des unités de recherche (nov. 2016), il y a trois points développant le critère 1) (qualité des produits et des activités de recherche) : a) la production de connaissance et les activités concourant au rayonnement et à l’attractivité scientifiques ; b) les interactions avec l’environnement ; c) l’implication dans les formations par la recherche. Les recherches participatives supposent certes une interaction avec des milieux et des lieux d’éducation et de formation, mais elles sont d’abord des recherches, et pas des formes de « traduction » ou de « reproblématisation » de recherches déjà faites en vue d’usages pratiques.

C’est de cela dont il est question de plus en plus nettement aujourd’hui avec l’idée de recherche participative et même de science participative, dans de nombreux domaines de recherche en sciences sociales et en sciences de l’ingénierie, selon des visées praxéologiques ou praxéonomiques, mais aussi heuristiques ou fondamentales. Le modèle idéal n’en est sans doute pas l’expérimentation à l’instar de recherches en sciences de la nature (assez fantasmées aujourd’hui), mais un montage plus coopératif, en particulier pour la coélaboration de problématique et une coréalisation de la recherche.

Bien évidemment, ces développements dans les pratiques de recherche ne sont pas indépendants de ce à quoi incite beaucoup plus nettement qu’avant l’insistance sur les « interactions avec l’environnement », dans une visée de contribution à l’« innovation » (certes plutôt pensée comme avant tout industrielle). Cependant, une Charte des sciences et recherches participatives en France. Accompagner, soutenir et promouvoir les collaborations entres acteurs de la recherche et de la société civilea d’ailleurs été signée le 20/03/2017 au MENESR par une trentaine d’établissements de l’ESR, d’ONG et d’associations (fichier annexé).

II

L’intégration des recherches participatives parmi les types « normaux » de recherche en éducation et formation n’est en rien facile et présente de nombreuses difficultés, assez bien connues maintenant:

- diversité des formes, de la recherche - intervention à la recherche partenariale, de la forme collaborative à la forme coopérative, de la recherche-action à l’action - recherche ;

- « montage » compliqué d’une équipe mixte durable à partir de compétences de coopération plus ou moins accordées ;

- élaboration d’une problématique de recherche commune, supposant habituellement de nouvelles conceptualisations ;

- reconnaissance réciproque que chaque acteur de la recherche a aussi d’autres préoccupations scientifiques ou pragmatiques plus personnelles ;

- suivi commun et « reddition de comptes » pour une responsabilité partagée de l’avancée de la recherche ;

- intérêts différents à propos de rédaction, de publication, de réalisation de ressources et de propriété intellectuelle ;

- relations plus ou moins faciles des acteurs d’une recherche participative, chercheurs comme « participants » avec leurs collègues dans leur unité de recherche ou dans leur établissement d’éducation ou de formation ;

- postures diverses maintenues dans les « interactions avec l’environnement ». Mais on peut attendre des recherches participatives :

- un élargissement des possibles pratiques imaginables en éducation et formation;

- des renouvellements des questionnements fondamentaux favorisés par la prise en compte d’autres points de vue ;

- la constitution d’une force d’ « expertise » distribuée (capacité à problématiser avec des partenaires sur le terrain, plus encore qu’à apporter des réponses à des questions nouvelles) ;

- l’émergence et l’entretien de milieux médiateurs entre les acteurs de recherches et des « utilisateurs » potentiels.

Dans le cadre des Sciences de l’Éducation, qu’il n’est pas question de transformer dans leur ensemble en « Sciences participatives », c’est sans doute sur ces différents aspects, négatifs ou positifs que devrait tout particulièrement porter l’évaluation des recherches participatives en éducation et formation et de leurs « résultats ».

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