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Témoignages personnels > Jean-Michel GelisHommage à François Villemonteix par Jean-Michel Gélis Il y a des collègues que les hasards de la vie professionnelle nous font connaître puis fréquenter puis apprécier. Pour si peu que l’on fasse œuvre commune avec eux, que l’on mène, comme souvent dans notre milieu, des chantiers complexes et d’envergure, on aperçoit vite, au-delà de l’expertise et des qualités de pilotage, l’homme, son éthique, ses valeurs, sa culture, les raisons qui l’animent et les visions qui le portent. J’ai connu François à la rentrée 2011 lorsqu’il intégra l’Université de Cergy-Pontoise en tant que maître de conférences. Il s’est rapidement passionné pour l’enseignement à distance qu’il s’agissait de lancer au sein de l’IUFM d’alors, à partir de modalités et d’un modèle définis par l’université. L’expérience de François, les responsabilités qu’il avait assumées dans d’autres institutions, ses capacités d’analyse, d’action et de décision lui donnaient les compétences nécessaires pour installer, piloter et pérenniser un enseignement en distanciel dans notre établissement. Le défi était de taille. Le modèle qu’il s’agissait d’étendre dans notre université était celui d’un enseignement à distance qui existe depuis les années 2000 et forme aux technologies éducatives. L’objectif était de déployer cet enseignement en direction des formations initiale et continue d’enseignants du premier degré, en s’appuyant sur le même modèle pédagogique, la même plateforme et le même suivi technique. Ce déploiement n’allait pas de soi, du fait d’un changement d’échelle (de quelques dizaines à quelques centaines d’étudiants), du nombre et de l’expérience des enseignants (d’une dizaine de formateurs chevronnés, enseignants–chercheurs du domaine, à une centaine d’enseignants aguerris en présentiel mais néophytes à distance). Les contenus enseignés constituaient une autre différence de taille puisqu’ils étaient centrés sur les technologies éducatives dans un cas et répartis sur un grand nombre de disciplines dans l’autre, qu’elles soient académiques, professionnelles ou liées à la recherche. François s’attela à la tâche difficile de créer et de développer en 4 années une structure pérenne qu’il dirigea dans un paysage institutionnel très mouvementé (l’IUFM devint école interne, avant que ne soit créée l’ESPE). J’ai accompagné François dans cette mission en me chargeant de la formation de nos enseignants, de l’analyse de l’activité sur la plateforme, de la conception d’outils de pilotage. Mon rôle était également de donner à la recherche une place prééminente pour penser notre développement et analyser notre dynamique. Les nombreux obstacles traversés, la montée en puissance de l’équipe et de ses missions, l’exigence qui était la nôtre de tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de nos enseignements m’ont amené à vivre cette aventure au plus près de François. J’ai vu sa formidable énergie, les combats incessants qu’il a menés sur tous les fronts, les exigences qui l’animaient. J’ai vu son humanité, son extrême attention aux autres, sa force, son écoute, sa détermination. J’ai apprécié sa culture, son intérêt pour les arts, son insatiable curiosité qui le faisait toujours aller de l’avant. Même si j’ai travaillé avec François dans d’autres cadres, je voudrais ici centrer mon témoignage sur l’enseignement à distance. D’une part parce que son engagement dans ce domaine résume pour une bonne part l’étendue de ses multiples compétences, mais aussi parce que ses réalisations et l’énergie dont il a dû faire preuve n’ont pas été nécessairement visibles. Dans les lignes qui suivent, j’aborde plus précisément l’engagement de François comme enseignant à distance, comme directeur de structure, meneur d’équipe et chercheur. L’enseignant à distanceDe nombreux travaux de recherche ont montré que le modèle pédagogique de la distance que nous suivions était en rupture avec les pratiques du présentiel. Il était ainsi impossible de penser un enseignement à distance en ne procédant qu’à un simple transfert du présentiel. Avide d’expériences et passionné par l’exercice pédagogique, François s’est engagé dans ses enseignements à distance avec efficacité et inventivité. Il a su, en acte, réaliser le changement de paradigme qu’impose la distance, s’approprier des exemples de pratiques pour les dépasser et en engendrer. Il était à l’aise sur ce terrain où peinaient d’autres praticiens néophytes comme lui. Il fourmillait d’idées, construisant et explorant avec envie des approches nouvelles et personnelles. Le responsable de la structure à distance Des travaux de recherche ont montré que toute innovation techno-pédagogique bouleverse les fragiles équilibres existants. Une innovation déstabilise ainsi le fonctionnement d’institutions, l’engagement de ses acteurs, les pratiques pédagogiques. La théorie de la traduction s’attarde sur le jeu complexe qui mobilise les acteurs lors de la mise en place d’innovations. Ces derniers s’organisent en porte-parole et en traducteurs qui reprennent à leur compte la réussite de l’innovation et assurent l’intéressement, l’enrôlement et la mobilisation de leurs pairs. Cette théorie assure qu’aucun consensus entre acteurs n’est nécessaire pour porter une innovation dont la réussite ne se fait pas de façon linéaire mais intègre des régressions et fédère des points de vue différents. La création et le développement de l’enseignement à distance menés par François s’inscrivent dans ces cadres. La première cellule de pilotage qu’il dirigeait n’était dotée d’aucun moyen propre et devait sans cesse compter sur d’autres services et donc peser, parfois lourdement, sur leur fonctionnement. Au fil des années, François est parvenu à concevoir et piloter une structure qui s’est peu à peu enrichie des moyens administratifs, techniques et pédagogiques nécessaires à sa pleine autonomie. A chaque instant, l’engagement de François, sa réactivité, ses analyses et ses actions ont assuré la solidité d’une structure évolutive, reconnue par les acteurs et qui s’est durablement inscrite dans le paysage institutionnel. Rien n’est allé de soi dans ce bouleversement qu’a représenté l’émergence de ces nouvelles modalités d’enseignement, les obstacles ont été nombreux. La force et la justesse des actions de François ont assuré la pérennité d’une structure maintenant visible, parfaitement inscrite dans la culture de l’université et dont l’existence n’est plus remise en cause. Le meneur d’équipeDans une institution, certaines fonctions ne font pas particulièrement l’objet d’étude. Tel est le cas de la conduite d’équipe dont l’objectif est d’enrôler et d’impliquer chacun de ses membres. L’exercice de cette fonction ne s’enseigne pas, elle fait rarement l’objet de débats ou de communications et sa visibilité reste généralement confinée aux seuls acteurs concernés. Cette responsabilité est pourtant d’importance car elle assure l’efficacité d’une structure, sa réactivité et la réussite des missions qui lui sont dévolues. Dans ce domaine, François a fait preuve d’aptitudes remarquables. Son sens aigu du groupe, son attention permanente à la place et à l’implication de chacun lui ont permis d’emporter l’adhésion de tous. Cette tâche, qu’il n’a jamais négligée, exigeait de sa part une grande vigilance et une énergie qui n’a jamais fléchi. La structure d’enseignement à distance a traversé nombre de moments critiques où les charges devenaient parfois lourdes, complexes et le temps de travail conséquent. Si l’équipe a tenu malgré les pressions externes, elle le doit au climat de bienveillance et d’exigence que François avait su instaurer. François livrait facilement ses analyses et donnait à tous les clés pour comprendre les enjeux, la place et la dynamique de notre structure. Cette transparence assumée assurait l’implication de tous et rassemblait l’équipe autour d’un projet commun, fédérateur et parfaitement compris. En interne, François savait faire confiance, attribuer des responsabilités sur lesquelles il ne revenait pas. Il n’opérait aucune hiérarchie entre les missions des uns et des autres, quels que soient leurs rôles ou leurs statuts. Chacun avait, à égalité, sa place pleine et entière pour contribuer à la réussite commune. Si l’un des membres de l’équipe connaissait des difficultés pour assurer ses tâches, François l’épaulait et intervenait en agissant sur les liens que nous avions en interne ou avec les autres services. Cette formidable attention que prêtait François à son équipe n’était pas feinte, elle ne procédait pas d’un calcul. Elle était l’expression immédiate et spontanée de son humanité, de sa passion pour les êtres qui l’entouraient, pour leurs trajectoires individuelles et leur implication dans un projet collectif. Par son écoute, son dynamisme et son insatiable énergie, il a su porter son équipe, instaurer un climat de bienveillance dans une équipe qui partageait le même plaisir à se retrouver et travailler malgré l’ampleur et les difficultés de la tâche. Le chercheurCette section évoque les travaux de recherche conduits par François dans le champ de l’enseignement à distance. Étant donné les charges qui étaient les siennes, François ne fit que s’engager dans ce domaine nouveau pour lui et que j’avais déjà investi avant de le connaître. Il me semble cependant intéressant de témoigner de l’engagement de François dans ce champ. Son implication révélait en effet l’insatiable curiosité scientifique qui l’animait ainsi que sa volonté de multiplier ses approches pour appréhender la place des technologies dans l’éducation et la formation. D’autres que moi témoigneront sur les travaux et résultats de recherche que François a produits dans d’autres domaines. François et moi étions pleinement d’accord pour donner une place prééminente à la recherche au sein de la structure d’enseignement à distance. Il nous semblait que nous ne pouvions analyser les péripéties traversées par notre structure sans les appréhender au moyen des théories, cadres et modèles élaborés par la communauté. L’élaboration d’une vision du développement de notre entité, la définition de points de vigilance et d’impulsions à donner à l’ensemble de nos acteurs nécessitaient également de nous référer aux travaux existants. Nous reprenions entre autres une approche systémique, fréquemment utilisée dans l’analyse d’innovation et qui nous permit de saisir les phénomènes en jeu, tant sur le plan institutionnel que pédagogique et lié aux acteurs. Ces éléments nous ont aidés à définir chaque année des axes de travail que nous mettions en place au sein de notre structure, comme l’instauration d’une démarche qualité et ses implications sur tous nos acteurs. Même si le temps nous a manqué pour établir ensemble des résultats de recherche significatifs, il me semble intéressant de témoigner de l’envie irrépressible de François de s’ouvrir à des champs nouveaux pour lui. Nous avions commencé à travailler sur la collaboration entre étudiants, cœur de notre modèle pédagogique. François avait identifié des objets d’étude, cerné des cadres théoriques, produit un premier travail. Il s’empara de ce domaine de recherche avec énergie et passion. Il construisit une convergence avec d’anciens thèmes qu’il avait déjà portés dans d’autres contextes, comme l’influence des prescriptions et des jeux institutionnels sur les pratiques enseignantes. Son approche personnelle était déjà originale et ouvrait des perspectives. François était un chercheur dans l’âme, sans cesse sur le qui-vive, prêt à apporter son expérience dans des domaines nouveaux pour lui. Il cherchait à revisiter les certitudes établies, enrichir les regards, défricher de nouveaux terrains pour mettre en évidence des évolutions, des ruptures ou l’émergence de phénomènes nouveaux dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage. En somme…François avait une présence impressionnante. Passionné par les autres, par la vie, toujours dans la relation, il prenait un plaisir formidable à communiquer, fédérer, rassembler, animer des communautés. Il aimait s’impliquer, piloter des groupes, impulser des actions, construire et produire. Il était un enseignant passionné, un chercheur qui multipliait les approches et s’attelait à défricher des terrains complexes, riches et en perpétuelle évolution comme ceux des technologies. Son appétit de vivre ne se limitait pas à ses multiples activités professionnelles. Il aimait comprendre le monde, en avoir les clés, lire et se cultiver, sans délaisser les arts. Pour tous ceux qui l’ont suivi et fréquenté dans le monde professionnel, il occupait une place unique, faite de compétences multiples mais aussi de générosité, d’attention et d’écoute. Nombre d’entre nous se sont enrichis des regards qu’il portait, des perspectives qu’il dessinait. Il était capable d’entraîner des groupes, de fédérer des énergies et de communiquer aux autres son immense appétit de vivre. Nous pensons à son épouse, Catherine, à ses deux fils, à sa famille et comme le disait Georges-Louis Baron, nous sommes tous immensément tristes. |